Madame d’Aulnoy, créatrice oubliée de la Petite Souris

Les contes de fées ont bercé notre enfance. Ces contes, nous les devons en partie à celle que l’on surnomme la Fée des contes. Autrice à l’origine de ce genre littéraire, Madame d’Aulnoy, de son vrai nom Marie-Catherine d’Aulnoy, a été la première à en écrire. C’est d’ailleurs elle qui est à l’origine du personnage de la Petite Souris. Alors qu’aujourd’hui, lorsqu’on parle de contes, le nom qui revient le plus souvent est celui de Charles Perrault, voici l’histoire de Madame d’Aulnoy.

Gravure de Madame d'Aulnoy

L’histoire trépidante de la Fée des contes

La vie de Madame d’Aulnoy n’est pas moins rocambolesque que ses contes. Alors qu’on pourrait penser que cette écrivaine, originaire d’une famille de petite noblesse normande, vivait un quotidien plutôt tranquille, la réalité est que Madame d’Aulnoy n’avait pas froid aux yeux et qu’elle s’est embarquée plus d’une fois dans des aventures tumultueuses.

A l’âge de treize ans, la jeune fille est promise à un homme âgé de trente ans de plus qu’elle, le baron d’Aulnoy en Brie. Après trois ans de mariage, en 1669, madame d’Aulnoy décide de se débarrasser de ce mari qu’elle n’aime pas et qui lui fait honte avec sa réputation de grand dépensier, de buveur et de coureur de jupons. Avec sa mère, elle monte un plan qui fera scandale. Madame d’Aulnoy tente de faire inculper son mari pour crime de lèse-majesté, alors passible de la peine de mort. Aidée par deux gentilshommes, son mari est arrêté et enfermé à la prison de la Bastille. Cependant, la victoire de Madame d’Aulnoy est de courte durée car son mari finit par être blanchi de ses calomnies et les deux gentilshommes sont condamnés pour diffamation. Madame d’Aulnoy et sa mère fuient alors vers les Flandres, l’Angleterre et l’Espagne pour échapper à toute condamnation qui punirait leur manigance.

En 1690, Madame d’Aulnoy est de retour en France, graciée par le roi Louis XIV à qui elle rend des services d’espionnage. Elle se fait connaître à la cour comme femme de lettres en tenant des salons littéraires dans le quartier du Faubourg Saint-Germain à Paris. Elle y partage ses premiers écrits qui retracent ses voyages sous la forme de lettres qu’elle adresse à une cousine. C’est le cas de ses mémoires tels que Mémoires de la cour d’Espagne, Mémoires de la cour d’Angleterre, ou encore Mémoires secrets de plusieurs grands princes de la cour et Nouvelles ou mémoires historiques. En s’inspirant de faits réels, Madame d’Aulnoy témoigne à travers ses écrits de sa connaissance des usages politiques. Cependant, c’est sur un autre créneau, un genre littéraire qu’elle inaugure, que la comtesse fait sa renommée : celui du conte de fées.

Portrait de Marie-Catherine d'Aulnoy

Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, baronne d’Aulnoy

Un univers merveilleux et singulier de conte de fée

Dans les salons littéraires tenus par Madame d’Aulnoy, exclusivement fréquentés par des femmes, l’écrivaine en herbe forge un style littéraire qui lui appartient. Dans son roman Histoire d’Hippolyte, comte de Duglas, publié en 1691, un récit se détache du reste de l’ouvrage. Le personnage principal, Hippolyte, fait un étrange conte à sa bien-aimée, Lucile, alors enfermée dans un couvent. Concis et fantastique, le conte de L’île de la félicité fait son effet à sa lecture. Ce récit fait alors office de premier conte de fées publié en France.

Si des contes contenant du merveilleux existaient déjà au XVIᵉ siècle et même bien avant, Madame d’Aulnoy les réinvente grâce à son style singulier. Sa plume est libre et, à travers le format du conte de fées, elle marie diverses influences qui font son originalité. L’écrivaine construit ses contes comme des aventures romanesques rocambolesques, alliées aux influences des littératures galantes, pastorales et populaires, dans un langage précieux et raffiné. Ces contes sont destinés au divertissement des adultes de la noblesse, ce qui lui permet d’y glisser des allusions critiques vis-à-vis de la société de son temps. Par exemple, Madame d’Aulnoy critique les mariages forcés, mariage qu’elle a elle-même subi avec celui qu’elle avait voulu faire tuer. Madame d’Aulnoy n’hésite pas à instaurer cruauté, horreur, réalisme et désinvolture dans ses récits. On la rapproche d’ailleurs souvent à Jean de La Fontaine pour sa critique de la société à travers l’imaginaire. Le conte est pour elle un lieu de création et de subversion.

Cette subversion se perçoit également dans la volonté de l’autrice de mettre sur le devant de la scène des héroïnes complexes. Dans L’Oiseau Bleu, par exemple, Madame d’Aulnoy s’éloigne des représentations classiques des princesses victimes de leur destin et renverse les schémas. Dans cette histoire, c’est le Prince qui se lamente sur son sort, car il s’apprête à épouser une princesse qu’il n’aime pas et qu’on lui impose. L’héroïne de l’histoire, véritable bien-aimée du Prince, se met en quête pour le sauver de ce mariage afin de pouvoir vivre son amour avec lui. Dans son conte Finette Cendron, une variante de Cendrillon, la future princesse ne pleure pas sur son sort en attendant le prince charmant, mais fait preuve de courage et de détermination.

Si on surnomme Madame d’Aulnoy la “Fée des contes”, c’est aussi parce qu’à travers ses histoires, elle a popularisé le personnage de la fée, qui donne son nom au genre littéraire. Chez Madame d’Aulnoy, la fée se différencie de celle des contes populaires où grouillent les sorcières. Elle en fait des grandes dames, vivant dans des palais somptueux, tout en conservant leurs pouvoirs et en leur conférant la capacité de pouvoir prendre des formes animales. Elles sont tantôt Fée Gentille, Fée Bénie ou Fée Carabosse, Fée Fanfreluche, mais aussi Couleuvre, Lionne et, plus connue, Petite Souris. En effet, le fameux mythe de la Petite Souris est issu du conte La Bonne Petite Souris de Madame d’Aulnoy. Elle est en réalité une fée qui se transforme en souris afin d’aider une reine à vaincre un méchant roi qui lui a pris sa place et qui terrifie la population. La fée fait tomber ce tortionnaire d’un arbre qui se casse quatre dents puis se glisse sous son oreiller pour finir de l’abattre.

Les femmes ont une place importante dans l’œuvre de Madame d’Aulnoy, ce que reflètent ses salons dans lesquels d’autres écrivaines, comme ses amies Henriette-Julie de Murat et Marie-Jeanne l’Héritier de Villandon, qui s’essayent également au conte, discutent de leur condition. Si les contes de Madame d’Aulnoy rencontrent un franc succès dans les salons et à la cour, notamment grâce à ses recueils Contes des fées en 1697 et Contes nouveaux ou les Fées à la mode en 1698, l’histoire ne lui rendra pas un hommage à sa juste valeur.

Illustration du conte La princesse Carpillon
Illustration du conte Finette Cendron

Des contes de fées oubliés

Pourquoi quand Charles Perrault s’est vu présenté comme le pionnier des contes de fées par l’histoire littéraire française, puis étudié de génération en génération par les écoliers, Madame d’Aulnoy a été mise de côté ?

La chercheuse Nadine Jasmin, spécialisée dans le genre du conte, et notamment du conte de fées féminin, met en cause l’invisibilisation des femmes de lettres dans l’histoire littéraire française. Les autrices auraient été éclipsées par leurs homologues masculins. De plus, elle rappelle que le conte est considéré comme un genre mineur par la critique littéraire. Ainsi, les femmes qui écrivent des contes sont doublement invisibilisées, voire totalement effacées, de la littérature. Par ailleurs, la chercheuse analyse aussi ce phénomène à partir du fait que, malgré un succès rencontré, ces autrices, comme Madame d’Aulnoy, se sont retrouvées à créer avec certes plus de liberté que les hommes, mais que cette liberté dans la création a pu également contribuer à leur marginalisation. En effet, en écrivant dans des cercles littéraires marginaux – uniquement composés de femmes par exemple -, dans des formes littéraires inédites et sur des sujets critiques, ces femmes de lettres ont été mises à la marge des genres dans lesquels elles ont parfois été pionnières. Ainsi, l’écriture plus moderne et subversive de Madame d’Aulnoy, comparée à celle plus sobre et classique de Charles Perrault, a pu être un frein dans les perspectives de postérité de la conteuse. Son œuvre aurait été jugée moins accessible que celle de Perrault. D’ailleurs, alors que Charles Perrault rassemble environ dix contes à son actif, Madame d’Aulnoy en compte environ vingt-cinq.

Cependant, Madame d’Aulnoy connut son heure de gloire grâce à l’Académie des Ricovrati de Padoue, fondée en 1599. Bien que cette académie ne permettait pas aux femmes d’occuper des postes administratifs et de décisions, elle fut l’une des rares de son époque à se montrer sensible à la question de l’inclusion des femmes dans la société. D’origine italienne, cette académie veillait à recevoir des femmes lettrées et reconnues dans leur domaine. Il faudra attendre bien plus tard pour que la conteuse soit admise à l’Académie française.